L'inflation masquée par les tarifs douaniers : un secret à découvrir

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Les hausses de droits de douane décidées par Washington n’ont pas encore enflammé l’inflation. Mais ce calme apparent pourrait n’être qu’un délai technique. Pour Pictet Wealth Management, la facture tarifaire s’annonce plus salée à l’automne, sans remettre en cause la stratégie monétaire de la Fed.

Une flambée des prix… en différé
Depuis plusieurs mois, l’administration américaine a accentué sa politique protectionniste, notamment à l’égard des importations chinoises. Les hausses de droits de douane s’enchaînent, mais ne se traduisent pas encore par une envolée visible de l’inflation. L’indice des prix à la consommation (CPI) est resté mesuré en juin 2025, malgré une légère remontée de l’inflation cœur des biens à +2,4 % en rythme annualisé. Un paradoxe ? Pas tout à fait.
 

Selon une note publiée le 15 juillet par Pictet Wealth Management, cette inertie est en réalité un effet retardé. Plusieurs mécanismes amortissent temporairement le choc tarifaire. D’abord, les entreprises ont constitué d’importants stocks à la fin de 2024, anticipant les hausses de droits. Ces stocks – évalués à 1,5 mois de consommation – agissent comme un matelas de protection. Ensuite, une partie des surcoûts a été absorbée par les marges, que ce soit chez les producteurs asiatiques ou les distributeurs américains.
 

Enfin, d’autres segments – notamment l’immobilier et certains services – connaissent une désinflation qui compense statistiquement la pression haussière sur les biens importés. Résultat : les prix globaux restent contenus, mais le nuage s’épaissit à l’horizon.
 

À l’instar du "tariff inflation delayed", ce phénomène a déjà été observé lors des précédentes salves protectionnistes. Les économistes de Cavallo, Llamas et Vazquez ont développé un indicateur montrant la divergence croissante entre les prix des biens touchés par les tarifs douaniers et ceux restés libres de droit. Leur outil permet d’anticiper une transmission progressive de l’effet douanier dans les prix à la consommation dès que les stocks tampon auront été écoulés.

Une inflation contenue… mais surveillée
Selon Pictet, le pic d’impact devrait se matérialiser à la rentrée. Déjà, les enquêtes régionales de la New York Fed, de la Richmond Fed ou encore de l’ISM indiquent qu’entre 60 % et 80 % des industriels envisagent d’augmenter leurs tarifs dans les mois à venir. Les secteurs les plus exposés sont connus : mobilier, électroménager, jouets, produits électroniques… autrement dit les importations asiatiques grand public.
 

Mais ce rebond tarifaire ne devrait pas faire dérailler la politique monétaire américaine. Dans son scénario central, Pictet table toujours sur une reprise du cycle de baisse des taux par la Fed à partir d’octobre 2025. L’hypothèse : une croissance molle mais non récessive, et un marché du travail suffisamment résilient pour permettre un atterrissage en douceur. Les baisses de taux s’échelonneraient ensuite jusqu’à mi-2026, pour atteindre une fourchette cible de 3,0 à 3,25 %.
 

Ce scénario s’appuie aussi sur l’analyse de la composante importée de l’inflation. Si la pression tarifaire se diffuse, elle devrait rester contenue dans des proportions acceptables pour la Fed, qui privilégie une approche dynamique de la stabilité des prix. La banque centrale pourrait tolérer une légère réaccélération transitoire de l’inflation tant que le cœur de son mandat – l’emploi et la stabilité financière – reste préservé.
 

Ce diagnostic modéré tranche avec les inquiétudes plus vives de certains acteurs de marché, qui redoutent un regain d’inflation durable. Mais Pictet rappelle que les précédents épisodes tarifaires ont souvent été absorbés sans spirale haussière, à condition que la demande reste maîtrisée. En ce sens, la hausse des droits ne devrait pas remettre en cause la trajectoire baissière des taux.